ses doigts s'enchevêtrent autour des tiges qu'il tient dans ses mains. il ne pense pas à ce qu'il fait, il tresse des bouts de fleurs sans y prêter attention. assis en tailleur sur un tapis de vert. aujourd'hui, le soleil ne tape pas trop fort, il chatouille les nuques avec ses rayons de chaleur. alessio penche la tête, il ne veut pas regarder le soleil en face. il jette un coup d'oeil à l'herbe sèche, aux plantes assoiffées. ça lui donne soif à son tour. température agréable, disait-on à la radio. il y a beaucoup de gens au jardin aujourd'hui. pique-nique, sieste et lecture. ça occupe l'esprit, de voir du monde. ça rappelle qu'on est juste une personne parmi tant d'autres. alessio lève les yeux de ses fleurs une fraction de seconde. le temps de voir le soleil qui s'éparpille dans les reflets blonds d'une tête à quelques mètres de lui. lumière blanche, comme celle qu'il a vu à l'église, il n'y a pas si longtemps. l'âme aux lèvres silencieuses, aux mains douces mais les mouvements fermes. alessio regarde ses doigts. les petites cicatrices s'accumulent, mais il est presque sûr qu'il n'y en a aucune de cette journée-là. les bandages posés avec tellement d'attention, même la plus vilaine des blessures ne pourrait survivre à tant de douceur. il met ses mains dans ses poches, les fleurs avec. il se relève lentement, sous le regard narquois du soleil. elle est là, à quelques mètres de lui. cette âme qui a chamboulé la sienne. mais comment l'approcher? alessio n'est pas habitué des relations sociales. en plus, quand il fait soleil et il parle, il a peur que le soleil se réflète trop fort sur ses dents, sur les fils métalliques dans sa bouche. je lui dirai simplement bonjour. ses poings tremblent, il se sent tellement petit. est-ce qu'il l'a remercié l'autre fois? est-ce que la silhouette le reconnaîtra aujourd'hui? finalement, les quelques mètres de verdure disparaissent sous les pas d'alessio. il n'a qu'à lui dire bonjour. mais la tête blonde se tourne dans sa direction, et quand alessio plonge ses yeux dans les siens, il oublie. « euh...», il commence. puis il se rappelle ses bagues, le soleil, et baisse la tête. il laisse échapper timidement un mot, avec une voix qui vibre un peu trop. espérant que ce soit assez. « bonjour. » il s'asseoit, un peu en retrait de la silhouette. il ressort les fleurs de ses poches, se remet à les tresser avec ses doigts abîmés.

Soleil. Qui brûle, qui enflamme. T’es là, assis dans l’herbe, les yeux clos, le visage tourné vers le ciel. Tu oublies. Te reposes. Tu sais pas trop comment t’es arrivé là. Peut-être trop déchiré ? Peut-être trop perché ? T’en sais rien. Et, tu veux pas savoir. Car, là, t’es bien. À profiter de l’instant. De ce moment de silence et de bien-être que parfois, t’oublies, dans la froideur, dans la douleur. Soupire, sourire, et t’as le regard qui s’ouvre. Pour regarder autour de toi. Voir les enfants jouer, les parents s’aimer, les jeunes s’amuser. La vie, tout simplement.

Parfois, t’as l’impression de vivre un peu dans un ailleurs. De ne pas être de ce monde. OVNI parmi tant d’autres. Et pourtant, au boulot, tu ne fais que ça, d’être entouré de ces gens, de ces jeunes. Normaux, anormaux. T’en sais rien. Finalement, qu’est-ce qui est normal dans la vie ? Rien, tout. Peut-être trop de choses ou pas assez. Jonny, tu te poses trop de questions.

Alors, quand y a une brindille qui craque à tes côtés, tu peux que relever la tête, surprit. Interdit quand tu vois cette silhouette. Lui. L’apparition de l’église. Tu te sens con. T’arrives même plus à savoir quelle tronche tu as toi. Dans quel état t’es Jonny ? Pour le voir lui. Tu dois être bien. T’en sais rien pourquoi. Un sourire. Et tu glisses tes yeux sur ses mains. C’est peut-être la première chose que tu as reconnue, ses mains. Si marquées, battues. On a l’impression qu’il a fait la guerre le gamin. Mais, non. Ou oui. Il fait la guerre avec lui-même comme toi, tu le fais avec toi-même.

Il te surprend à parler, puis à s’asseoir là, juste à tes côtés. Tu restes interdit. Que vient-il de se passer Jo ? Un sourire. Il semble timide. Le grand gaillard aux doigts tordus, aux doigts en sang que tu as soigné avec tendresse, avec douceur. Tu continues de le regarder. Et, là, tout au fond, tu te demandes vraiment s’il est une apparition ? Mais, tu priais pour ça Jonny. Quand il est venu à toi. Alors peut-être que tu dois faire quelque chose. Pourquoi lui montrer que t’en as pas rien à faire qu’il soit là. Que tu apprécies qu’il t’ait reconnu. Oui, Jo. Peut-être que tu dois faire quelque chose.

« T’es doigts vont mieux ? » C’est peut-être un peu con. Parce que tu le vois bien, qu’ils vont mieux. Mais, c’est une façon comme une autre de commencer. Non ?