Pieds nus dans l'herbe, ils la regardent tous. Ses épaules dénudées, son chignon bien coiffé. Ses yeux immenses brillent avec toute l'intensité du monde. Elle est belle a en crever, la fille Bertellini, avec ses lèvres couvertes d'un vernis hors de prix, son corps de moineau planqué sous sa robe de princesse. Les autres filles discutent à l'ombre, elle elle rayonne, elle bouscule, elle chavire. Elle dit « s'il vous plaît », « merci », elle s'extasie devant une montre hors de prix alors que les garçons aux polos relevés cherchent à rattraper son corps de poupée qui s'échappe à chaque caresse. Elle est belle a en crever, la fille Bertellini, quand finalement elle cesse de rire, qu'elle se laisse tomber dans les coussins, abrités par un chêne immense, lui même abrité par une villa dont la taille a quelque chose d'insultant. Les filles parlent vêtements, coiffures et célébrités. Elle rit en écho à leurs poésies cristallines. Dans sa poitrine son cœur qui bat, fort comme jamais, fort d'être lui. Elle a la peau pâle, les traits lisses, toujours. L'enfant porcelaine. L'infante de velours. Elle porte un verre à ses lèvres en croisant les jambes sous sa robe. Un bout de tissu de créateur qui lui a coûté son salaire du mois. Mais Dieu qu'elle est belle. Dieu qu'elle se sent belle. Elle a la peau qui sent la lavande, et si on cherche encore, on pourrait sentir le tabac froid imprégné à son derme fantomatique. On lui adresse la parole comme si son avis était l'indispensable qui changerait le sens des choses. On la regarde.

Plus tard quand vient la nuit, elle se hisse sur talons hauts, traverse la ville sans regarder derrière elle. On lui propose de la ramener, plusieurs fois. On lui dit même de rester, de profiter du soir. Mais la fille sourit, hausse les épaules, réponds qu'encore une fois, elle ne peut pas. Elle embrasse les joues des autres sans les toucher. Elle remercie plusieurs fois. Elle consulte l'heure sur son I-phone avant de disparaître en souriant. Elle disparaît tout le temps, quand il fait nuit, quand il fait tard. Elle laisse derrière elle les gens colorés, ceux qui brillent et resplendissent. Ceux qu'on voit de loin, a qui l'on embrasse les mains. La fleur se fane. Son Chanel a bout de bras, elle grimpe dans le bus, et les couleurs s'évadent, elle devient vide, triste et fade. Elle devient grise, sa joue collée à la vitre du bus. D'un geste négligé, elle détache ses cheveux, allume une cigarette quand elle rejoins le trottoir. Cette partie de la ville est bruyante. Les gens se bousculent, les voitures roulent les phares allumés. On la regarde, mais d'une autre manière. L'enfant fleur, la fée fanée. Elle pousse son corps à l’intérieur d'un vieil immeuble qui manque de s’effondrer. Disparus les arbres. Elle grimpe les étages, pousse la porte et jette ses chaussures dans l'entrée. Dans le salon, la télé hurle des stupidités, la mère échouée sur le canapé. Le père rentrera plus tard. Il rentre toujours tard. Malgré la télé, elle entend la mère ronfler. Personne ne fait attention à elle.